La musique baroque : une autre façon d'écouter la musique

  

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      Bien sûr, et là je coupe court aux critiques que pourraient susciter cet article, la musique baroque comme toutes les musiques peut s'écouter de manière primaire ( sans aucune connotation péjorative au mot primaire ) : on peut simplement l'entendre et non pas l'écouter, l'utiliser en musique de fond, d'ambiance, jouir de ses sonorités sans se poser plus de questions, et c'est aussi très bien. Je le fais moi-même très souvent. Mais ce que je veux expliquer ici, c'est qu'il y a une autre façon de l'écouter, peut-être sera-t-elle jugée plus intellectuelle ( avec une connotation péjorative au mot intellectuelle... ) mais qu'importe, c'est un autre plaisir.

      Les compositeurs de musique baroque ont souvent composé des oeuvres pour une écoute au second degré surtout chez les allemands et les italiens. Bien sûr toutes les époques ont usé d'artifices pour exprimer des affects au travers de la musique mais l'époque baroque est celle des maîtres du sous-entendu, du figuralisme ou du symbolisme musical. Il ne s'agit pas simplement de faire rouler les timbales sur les mots "furor" et "vendetta" ou de faire vrombir les contrebasses sur "Tod" ou "Morte"... on resterait là au premier degré.

      Ce second degré dans la composition a surtout été utilisé dans le domaine de la musique religieuse ( bien que la musique profane n'en soit pas exempte ), il est en effet bien difficile de trouver un second degré dans les concertos de Vivaldi ( encore que les "Quatre Saisons" ne soient pas exemptes de figuralisme... ) ou dans dans les "Symphonies pour les Souper du Roy" de Delalande. On parlera ici essentiellement de la musique d'inspiration religieuse. Il faut alors rechercher dans cette musique les représentations d'un texte présent ou suggéré, les symboles théologiques, parfois très précis que le compositeur a voulu faire passer à l'auditeur qui la reçoit de manière consciente ou inconsciente.
      Prenons l'exemple de la symphonia de la cantate BWV4 de J.-S. Bach, "Christ lag in Todesbanden" ( Christ gisait dans les liens de la mort ). Je vous propose d'abord d'écouter cette symphonia.
      Cette cantate a été écrite pour le jour de Pâques 1707 ou 1708. La symphonia adopte d'emblée un ton très angoissé, la cantate décrit le combat du Christ contre la mort, dont on 'sait' qu'il triomphera mais aucune note d'espoir ne transparait dans ce début. Après ce début, une prière désespérée monte vers le Ciel, on peut aussi voir dans ce passage entrelacé des cordes les 'liens de la mort'. Mais terminant la symphonia, sur un silence brutal de tout l'orchestre, le violon I donne la réponse rassurante du Ciel et la symphonia se termine par une résolution qui elle est exempte de l'angoisse de départ.
      On pourrait parler encore longtemps de cette cantate ( comme de toutes les autres d'ailleurs ). On peut parler des 27 mesures que constituent la fugue sur 'alleluia' du 2° verset. Pourquoi 27 ? Tout simplement parce que 27 = 3x3x3 et J.-S. Bach y voyait là une représentation de la Trinité. Ce symbolisme des nombres est évidemment inaudible pour l'auditeur et là il faut se pencher sur la partition elle-même, mais ce qui peut paraître comme une anecdote en dit long sur la manière de composer d'un J.-S. Bach et des autres. Rien n'est laissé au hasard, tout a une signification. Il suffit de la trouver... si on le veut.

      Si la musique peut avoir une signification lorsque le texte manque, le texte, lorsqu'il est ajouté à la musique est renforcé par celle-ci. Le choix des voix ( soprani, alti ou contreténors, ténors, basses ) et des instruments n'est pas un hasard sutout à la fin de l'ère baroque. Rares sont les "Magnificat" qui se passent d'instruments à vents, instruments idéaux pour évoquer la liesse, de "Te Deum" qui se passent de timbales et de trompettes, évoquant le retour triomphal de guerre. Vous pouvez écouter un extrait du "Super Flumina Babilonis" de Delalande, dont les paroles sont :

Filia Babilonis misera !
Beatus qui tenebit et allidet   
parvulos tuos ad petram.
Misérable fille de Babylone
Heureux celui qui tient et écrase
tes enfants sur le roc !

Paroles terribles et bien rendues par la musique, le choeur insistant sur les mots "allidet" et "ad petram", l'enchevêtrement des voix rendant presque une impression de massacre.
Mais les choix peuvent devenir plus subtils encore sur des portions de textes, des phrases, des mots... C'est le cas des "Magnificat" dont la principale difficulté dans la composition est le constant changement de climat d'une phrase à l'autre. On passe d'un sentiment à l'autre en l'espace de quelques mots et cela doit être rendu musicalement sans compromettre l'équilibre et la cohésion de l'ensemble de la composition. Ecoutez celui de Monteverdi ou celui de Bach pour vous en convaincre.

      Petit exercice ;-) : Ecoutez cet extrait de la cantate BWV150 de J.-S. Bach " Nach dir, Herr, verlanget mich ". L'extrait est le début du verset 3 de la cantate et s'intitule 'Leite mich in deiner Wahrheit' ( Conduis-moi dans ta vérité ). Suivez cette phrase ascendante depuis les basses, puis les ténors, les alti, les soprani, les violons pour finir à l'unisson sur 'Wahrheit'. La traduction de ce texte vous donnera la clé qui vous permettra de déchiffrer l'intention de son auteur.

      Pour la réponse et de plus amples développements sur ce thème, en particulier dans le cas de Jean-Sébastien BACH, reportez-vous à la page consacrée aux constantes expressives chez ce compositeur, article écrit par Jacques Fischer, claveciniste et organiste.

© 1997, 2003 Hervé Lauret, Pour une utilisation quelconque du contenu de cette page, merci d'en demander l'autorisation préalable

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