Contrairement à Bach,Haendel et Telemann, musiciens de la bourgeoisie, Graupner ne put jamais, lui et sa musique, rompre le lien qui le tenait très fort à la société féodale et absolutiste de Dartnstadt. (cf utilisation dans ses symphonies des cors et des timbales pour le plaisir du landgraf Ludwig VIII, amoureux fou de la chasse)

A l'exception du corpus des cantates d'une qualité remarquable et de ses suites, le reste de l'œuvre (concertos, symphonies, pièces pour clavier, etc...) est malheureusement inégal avec des fulgurances d'une invention rare dans les mouvements lents.

Ses morceaux manquent souvent de souffle et d'unité entre eux et l'on ne peut réprimer un regret devant tant de possibilités avortées et de mouvements aux développements peu élaborés.

Le manque d'intérêt pour l'oeuvre de Graupner provient du fait que lui-même n'a jamais essayé de mettre sa musique en valeur contrairement à Bach et ses contemporains. Graupner était d'une extraordinaire modestie bien que son style fut fort prisé.

Il ne fit jamais de copies de ses oeuvres pour les vendre ou pour les publier à l'exception de 3 recueils pour clavecin qu'il imprima lui-même. Il avait prévu de faire brûler tous ses manuscrits à sa mort, ce qui ne fut jamais accompli.

Quant à son héritage,on se le disputa.D'un côté la cour de Darmstadt estimait que les manuscrits faisaient partie de son bien,de l'autre les descendants affirmaient que c'était de leur héritage, si bien que la diffusion et la publication de l'oeuvre fut interdite jusqu'en 1819. Cette dispute permit aux manuscrits de rester tous au même endroit à Darmstadt. Ils furent sauvés miraculeusement pendant la dernière guerre. Graupner fut après sa mort complètement oublié.

 

LES CANTATES DE GRAUPNER
LES OUVERTURES
LES CONCERTOS
LES SYMPHONIES

 

 

 

LES CANTATES DE GRAUPNER

Graupner a écrit 1418 cantates dont 47 pour basse solo, 47 pour soprano solo, 17 en duo pour basse-soprano, 6 pour ténor solo.
Leur très grande qualité est constante.

Il passa avec Telemann, Keiser,F asch et Haendel comme un des compositeurs les plus estimés de son temps pour la musique d'église. Dans une biographie anonyme de 1781, i1 est dit : "Il avait une telle considération pour la musique d'église qu'il la plaçait très haut par rapport à ses opéras et à sa musique instrumentale qu'un étranger qui l'écoutait pour la première fois s'étonnait et s'imaginait être transporté dans un autre monde. Dans cette sorte de musique il travaillait avec zèle, précision, sérénité et joie du coeur. Il liait art avec nature, magnificence avec simplicité, charme avec beauté, édification et plaisir, il n'était pas le perroquet de ses confrères, mais il avait lui-même son propre génie. Chose étrange, ses œuvres les plus récentes qu'il composa juste avant sa cécité, il les travailla avec feu et avec grande force".

C'est ainsi dans la création de musique d'église que Graupner œuvra avec le plus de liberté et par conséquent de réussite.

La presque totalité des manuscrits des cantates de Graupner se trouvent à la "Hessischen Landes-und-Hochschulbibliothek Darmstadt". Mattheson en loua la clarté,la propreté et la lisibilité.

Par la richesse de leur mélodie et de leur instrumentation, elles semblent montrer la voie du classicisme viennois. Elles présentent des contrastes dramatiques inattendus. Graupner travailla avec des poètes remarquables comme Georg Christian Lehms et Johann Conrad Lichtenberger dont les textes libres puisaient des pensées dans la Bible et cherchaient à les rendre utiles aux lecteurs et auditeurs en les rapportant aux questions religieuses de leur temps. J.S.Bach eût été heureux de disposer d'une telle source de textes pour ses propres cantates. Pour les auditeurs d'aujourd'hui, les textes sont encore compréhensibles parce que moins compliqués que beaucoup de textes baroques de l'époque.

Graupner, jusqu'à la fin, considérera le choral comme un élément essentiel de ses cantates. Il est un des rares compositeurs avec Bach à le maintenir, si bien qu'on le tenait de son temps comme démodé.
L'harmonisation de ses chorals reste simple. Il ne doit pas à la cour, à l'instar de Bach à la Thomaskirche, prendre garde au chant de la communauté. Il peut ainsi changer la mélodie du choral par des rythmes et des tempos variés tout en renonçant à des fioritures pour respecter la mélodie.

La mélodie du choral est soutenue alors par la basse continue pendant que les cordes accompagnées parfois d'instruments à vent complètent la phrase par une ou deux voix obligées. Les chorals sont comme des parties de musique de chambre, Graupner peut ainsi se laisser marquer par le contenu des vers, en se permettant, contrairement à Bach, des changements de rythme et de tempo. Les chorals étaient chantés par des solistes et un choeur.I ls représentent une véritable source de musique de très grande qualité.

Dans ses cantates Graupner se montre précurseur d'un nouveau style et d'une nouvelle technique.Grâce aux musiciens hors pair de Darmstadt,il osa des sonorités variées avec des instruments inhabituels (chalumeau, basson, corno di selva, violetta, hautbois d'amour et 2 clarinettes dans les dernières cantates)

Le choeur (habituellement SATB) comprenait un ou deux chanteurs par voix. Il en écrivit aussi pour un nombre variable (SATBB-SSATB-SSSATB-ATB-SAT-SAB) ou pour voix seule. Graupner tint remarquablement compte des caractéristiques de chaque voix et des particularités de chaque instrument pour atteindre une qualité sonore toujours remarquable.
Par la tension entre leurs éléments conservateurs et leurs possibilités en matière de sonorités diverses, les cantates de Graupner obtinrent à son époque une grande considération et devraient aujourd'hui frapper l'auditeur par leur force de vie.

Parmi ces 1418 cantates :

A remarquer les 3 cantates pour le cantorat de Leipzig

Magnificat (Noël 1722) seule composition en latin de Graupner
Aus der Tiefe rufen wir (2e dimanche de l'Epiphanie 1723)
Lobet den Herrn alle Heiden (idem)

A remarquer le cycle de cantates de la passion de l'année 1741

Il comprend les cantates pour les 10 dimanches avant Pâques avec une extraordinaire instrumentation qui accompagne le texte biblique.

1. Kommt Seelen,seid in Andacht stille : SATB choeur,STB soli 2hbts-2vns-2 violette-alto et bc
2. Erzittre toll und freche Welt ! : SATB choeur,SATB soli hbt-bn-2 vns concertants -2vns-alto et bc
3. Christus,der uns selig macht : SATB choeur,STB soli 2 hbts-chalumeau-2 vns-alto et bc
4. Freund,warum bist du kommen ? : SATB choeur,SAB soli 2vns- alto et bc
5. Die Gewaltigen raten : SATB choeur,SATB soli 2 hbts-bn-2 vns-alto et bc
6. Sie rüsten sich wieder die Seele : SATB choeur, SAB soli 2hbts-bn-2vns-alto et bc
7. Gedenke Herr an die Schmach : SATB choeur, STB soli 2fl-2hbts-2vns-alto et bc
8. Fürwahr, ertrug unsre Krankheit : SATB choeur, STB soli 3 chalumeaux-bn-2 vns-alto et bc
9. Jesus, auf dass er heiligte das Volk : SATB choeur, STB soli fl-3 hbts-2vns-2 violette-alto et bc
lo. Nun, ist alles wohl gemacht : SATB choeur, STB soli 2 fls-2hbts-bn-2vns-alto et bc

A remarquer le cycle 1743

dont le texte s'appuie sur les 7 paroles du Christ en croix

1. Betrübte Sulamith : ATB choeur, TB soli hbt-2vns-alto et bc.
2. Betrübte Seele merke auf : ATB choeur, ATB soli 2 vns concertants-2 vns-alto et bc
3. Wo blickst du hin, o Seelenfreund : SATB choeur, ATB soli hbt-2 chalumeaux-2 vns-alto et bc
4. Mein Gott,warum hast du mich verlassen ? : ATB choeur, TB soli hbt-2 chalumeaux-2 vns-alto et bc.
5. Wer da dürstet, der komme zu mir :SATB choeur, ATB soli 2 vns - alto et bc
6. Es ist vollbracht : SATB choeur, ATB soli 2 vns - alto et bc
7. Vater ich befehle meinen Geist : SATB choeur, ATB soli 2 chalumeaux-2 vns-alto et bc.

A signaler enfin

1. Wir wissen, dass unser irdisch Haus : Cantate funèbre pour la mort du Landgraf Ernst Ludwig. Seule cantate avec 2 violes d'amour
2. Das Ende kommt der Tod : Pour le dimanche des morts (Totensonntag) 4 timbales-trompette-2 cors
3. Wie wunderbar ist Gottes Güt : 3e dimanche de l'avent Hautbois d'amour

 

 

 

LES OUVERTURES (86)

Dans ses suites Graupner renonce aux éléments violonistiques virtuoses. Les ouvertures comprennent seulement huit soli de violon dont 3 menuets et 2 canons. Il utilise cependant volontiers la technique du con sordino et du pizzicato pour des pièces descriptives comme L'UCCELINO CHIUSO, la CONSOLAZIONE ou le DESIRE. La viole d'amour est mise en évidence dans 42 oeuvres (sonates,concertos, cantates) Quatorze ouvertures ont été composées du temps d'Ernst Ludwig qui prisait tout particulièrement cet instrument.

Signalons cette instrumentation remarquable dans la suite A7 : flûte d'amour, hautbois d'amour et viole d'amour avec 2 violons, alto et basson.
Graupner utilise très souvent les cors dans ses ouvertures et surtout dans ses symphonies, de même que les trompettes et les timbales que l'on retrouve dans 15O cantates. Trois ouvertures requièrent 3 timbales (D10,F10,G15)
La flûte traversière est l'instrument le plus employé dans les suites, plus que le hautbois. Le hautbois d'amour en revanche se trouve dans 6 ouvertures,20 cantates et 4 concertos.
Graupner a privilégié tout particulièrement le chalumeau dans 80 cantates et 18 oeuvres instrumentales dont 10 ouvertures à 1, 2 ou 3 chalumeaux.

"Affektdarstellungen" sont la caractéristique des ouvertures de Graupner plus que les imitations ou les figures allégoriques des suites de Telemann : l'affanno (le tourment) - la morosita - la plainte craintive - la dissimulazione - la consolatione etc...
Graupner privilégie les climats, les sentiments ou les humeurs. C'est un maître de la musique contemplative que l'on retrouve dans ses concertos et dans les mouvements lents de ses symphonies.
L'uccelino chiuso en 140 mesures est une des pièces imitatives les plus remarquables. Il dépeint la liberté de l'oiseau qui chante par des trilles, des répétitions, etc. La flûte est accompagnée de violons pizzicati.

Le style de Graupner est caractérisé par une suite de segments qui peuvent aller jusqu'à des dimensions très petites. Chaque segment comprend des groupements de quelques notes sur une ou deux mesures. Un segment peut être répété : Il y a fort contraste entre chaque segment. Simplicité et gentillesse (Niedlichkeit) sont les deux caractéristiques de son style à considérer comme galant. Il relie les thèmes galants avec la forme en canon dont Graupner était le spécialiste.

 

 

 

LES CONCERTOS (46)

Les concertos se fondent avant tout sur la vitalité et le rythme,d'où le caractère dansant de beaucoup de mouvements (les mesures à 6/8, 6/4, 12/8,etc rares chez Vivaldi sont inconnues chez Fasch). Les mouvements lents étonnent par leur diversité formelle (canon ou ostinato par ex.), plus que par leur profondeur, comme chez Vivaldi ou Bach.

Les 12 concertos pour 1 ou 2 FLÛTES recherchent la beauté du timbre (Klangreiz) plus que la virtuosité. Ils sont avant tout musique de divertissement (Tafelmusik), à l'exception des concertos en mi mineur No.8 et 34, de grande qualité, écrits pour une grande occasion. Le concerto pour FLÛTE A BEC compte parmi les œuvres délicates de Graupner.

Le concerto pour VIOLON se distancie des principes formels et expressifs de Vivaldi au profit du rythme et de la danse.

Les 5 concertos pour 2 VIOLONS commencent tous par un tempo lent (Grave ou Largo) et se rapprochent des concertos pour 2 flûtes dans leur expression.

Les 2 concertos pour VIOLE D'AMOUR se situent loin derrière les concertos pleins de force et d'énergie de Bach et Vivaldi.

Le concerto pour VIOLE D'AMOUR et ALTO se distingue par la fantaisie avec laquelle les deux instruments dialoguent.

Les 3 concertos pour 1 ou 2 HAUTBOIS et HAUTBOIS D'AMOUR (2) ont servi de divertissement et rappellent les concertos pour flûte.

Les 4 concertos pour BASSON sont particulièrement remarquables. Ils se distinguent par leur virtuosité, leur originalité, leur intensité expressive et leur caractère particulièrement dansant.

Les 4 concertos pour CORS et TROMPETTES sont moins exigeants pour les solistes que les concertos de Fasch, Telemann ou Heinichen.

Les concertos pour PLUS DE 2 INSTRUMENTS sont des oeuvres importantes. Le concerto N. 39 pour 2 FLÛTES TRAVERSIFRES et 2 HAUTBOIS fut le premier imprimé (1907) et le concerto N.26 pour CHALUMEAU, BASSON ET VIOLONCELLE est unique dans sa composition instrumentale.

 

 

 

LES SYMPHONIES (113)

C'est la partie la moins connue, mais aussi la moins estimée de son oeuvre qui donne, d'après un musicologue du début du siècle, Willibald Nagel, une impression générale peu réjouissante voire décourageante ("Des figures réthoriques vides").

Il est un des plus anciens compositeurs allemands de symphonies. Ce qui les caractérise particulièrement, c'est l'emploi des timbales avec les cors, rarement avec les trompettes. Graupner cherchait par cette combinaison à faire plaisir au landgraf Ludwig VIII particulièrement féru de chasse et de guerre. Cette concession du compositeur au goût de son prince ne se trouve guère dans la musique du XVIIIe ou XIXe siècle. Il utilisait les timbales (de 2 à 6) comme instruments mélodiques qui collaient en règle générale à la basse continue (colla parte) de telle sorte qu'elle ne restait pas limitée aux parties forte des Tutti, mais aussi aux parties piano, voire aux mouvements lents.
Toutes les symphonies de Graupner sont dans des tonalités MAJEURES (47 en ré M - 34 en sol M - 15 en fa M - 10 en utM - 5 enmib M - 1 en la M - l e nmi M).

Si les mouvements vifs ne brillent pas par leur inspiration, les mouvements lents - Andante surtout - offrent une mine étonnante de musique de grande valeur. Certains sont impressionnants par leur densité expressive. Avec eux seuls, bien des symphonies mériteraient une impression : Andante de 2 en sol M - de 25 en mib M - de 51 en ré M - Sarabande de 109 en fa M, etc... Ils sont riches en combinaisons sonores originales : Andante en si m de 47, en ré M avec une trompette lyrique ; l'imitation de la vielle dans le 4e mouvement de la 35 par 2 cors et 1 timbale - cf. Telemann : "La vielle" avec cordes. Dans les mouvements lents, il privilégie les pizzicati (32 en ut M) et réussit même à donner une atmosphère romantique à sa musique dans l'Andante de la 112 en fa Majeur.

Une des forces de la musique de Graupner est de rendre admirablement avec des moyens simples un climat idyllique,pastoral ou élégiaque.

A REMARQUER
Le groupe des symphonies pour "violetten" (99 à 102)
Mais surtout
la 101 en fa M qui est la plus remarquable par son invention et son souffle puissant si souvent absent des autres symphonies (symphonie comparable à un concerto pour 2 instruments de Bach.)


Retour au sommaire Graupner

© 1997,2004 Lauret Hervé, Jean-Jacques Walther.